27.03.21- Le"Calais Food Collective" fête sa première année
- Calais Food Collective
- 17 avr. 2021
- 8 min de lecture
Le 27 mars a marqué un an depuis la création du Calais Food Collective. À cette époque en 2020, les effets de la pandémie s'étaient propagés à l'échelle mondiale. En conséquence, les services mandatés par l'État fournissant de la nourriture avaient réduit leurs approvisionnements alimentaires, passant de plats chauds aux sandwichs. De nombreuses ONG ont aussi dû réduire et/ou cesser leurs distributions à la frontière.
Cette réduction des approvisionnements alimentaires stables a laissé les personnes exilées vivant à Calais et Dunkerque dans une situation critique. En plus du manque de logements sûrs, d'installations sanitaires et de points d'accès à l'eau, il y avait maintenant une crise alimentaire. Du 17 au 22 mars, Utopia 56, une organisation travaillant à Calais et Dunkerque, a enregistré 120 demandes de nourriture d'urgence.
C'est ainsi que 7 volontaires ont lancé le Calais Food Collective en tant qu’organisation d'intervention d'urgence temporaire. Trois personnes en plus se sont ensuite rejoints à l’équipe, et le collectif a lancé un appel pour de l'argent et des dons afin de débuter un service de nourriture sèche. Ce n’était pas la première fois qu’un tel service était proposé. En effet, la dernière fois que de la nourriture sèche était distribuée, c'était pendant la période de la `` jungle '' de Calais où vivaient environ 8000 personnes exilées, avant son énorme évacuation et sa démolition par l'État en 2016. La nourriture sèche était à cette époque distribuée par Calais Kitchens, une organisation sœur de Refugee Community Kitchen, entre novembre 2015 et octobre 2016.
Le Calais Food Collective est devenu un projet de L’Auberge des Migrants, une associations caritative française, qui a commencé à soutenir le CFC et à fournir une zone stockage dans leur entrepôt et des camionnettes pour que le projet devienne viable.

Les débuts du "Calais Food Collective", dans l’entrepôt de "L'Auberge des Migrants"

Premier don de l'association "le Message"
De base, notre service visait à fournir des colis alimentaires secs et de matériel de cuisine, afin de favoriser l'autonomie alimentaire et l'auto-gouvernance des communautés à la frontière. Nous avions comme objectif de distribuer de manière à prioriser les besoins et les demandes des communautés, et à fournir nos services de manière digne, juste et cohérente. Par ailleurs, la distribution de nourriture sèche a permis de minimiser le risque de propagation virale, car les communautés ont pu cuisiner elles-mêmes.
Les premiers colis alimentaires contenaient du riz, des lentilles, des tomates, des oignons, de l'ail, du sel, de l'huile, des sachets de thé et du matériel de vaisselle. Des dons étaient envoyés au collectif par un grand nombre d'organisations différentes, et avec suffisamment de fonds, le CFC a commencé à avoir la capacité de faire des grosses commandes. À partir de notre style de distribution initial de colis alimentaires individuels, nous avons pu évoluer à des méthodes de distributions différentes notamment des free shops et des distributions mobiles. En collaboration avec le Wood Yard, qui distribue du bois à Calais, nous avons pu instaurer la confiance au sein des communautés afin de pouvoir rentrer dans les espaces de vie et apporter de la nourriture directement aux personnes que nous servons. Nous conservions la valeur de travailler en accord direct avec les besoins des communautés, et à ce stade, un an plus tard, nous gérons un service cohérent qui a été adapté à ce que les communautés nous ont demandé.
Distribution de colis alimentaires de nourriture sèche

L'équipe après la première distribution à 1000 personnes à Calais
Le 11 septembre, la préfecture de Calais a publié un arrêté, qui ordonnait la fin des «distributions de nourriture et de boissons à travers Calais», sans aucun avertissement. L’arrêté consistait en une liste de routes du centre-ville où les distributions étaient désormais «illégales», dont beaucoup qui étaient nos points de distribution réguliers. La préfecture avait pour objectif de débarrasser les personnes déplacées à l’aide de cette politique d’invisibilisation au centre-ville. L'arrêté affirmait que les distributions enfreignaient les mesures de distanciation sociale. Il affirmait aussi que les personnes déplacées dérangeaient les résidents locaux, qu'elles produisaient de grandes quantités de déchets et que les personnes déplacées étaient violentes envers la police.
Malheureusement, la solution aux problèmes soulevés par l’arrêté n'est pas venue sous la forme d'un logement sûr, de la collecte des déchets ou de la protection sociale - mais plutôt avec des interdictions: encore une autre forme de harcèlement et d'exclusion par l'État. Le contenu de cet arrêté était incroyablement déshumanisant envers les personnes déplacées et contenait de graves nuances racistes. Les personnes déplacées à Calais ont été contraintes de vivre dans des conditions dangereuses depuis les années 1990 et ont été victimes de violences et d'abus de la part de la police et d'autres membres de la communauté pendant toute cette période. Au lieu d'une solution compatissante aux sans-abris à Calais, l'arrêté a forcé d'énormes déplacements de personnes vers les zones périphériques de la ville. Le 25 septembre, une manifestation contre l'arrêté a eu lieu, impliquant des membres de communautés déplacées, ainsi que des personnes de 70 groupes humanitaires, défilant ensemble à travers les rues de Calais.

25/11/20 - «Calais se lève» Manifestation contre l’arrêté, où les personnes déplacées et solidaires ont défilé à travers Calais.
En réponse, le Collectif a continué à travailler afin de fournir de la nourriture et de l'eau dans les zones où les distributions étaient encore autorisées. Lors de notre première distribution dans le centre-ville après le 11 septembre, où notre emplacement a dû changer pour une autre rue «légale», dix policiers ont harcelé l'équipe malgré la base légale de notre nouveau lieu de distribution. Depuis septembre 2020, l'arrêté a repris 8 amendements, et nous oblige à scruter la carte de Calais pour pouvoir donner de la nourriture et de l'eau sans sanction légale.
Outre le centre-ville, nous distribuons actuellement dans 8 sites à Calais et 2 sites à Dunkerque. Nous avons toujours cherché à adapter nos distributions, malgré les cycles d'expulsions vicieuses, où l'État expulse les personnes déplacées de leur lieu de vie et vole des biens tels que des tentes, des couvertures et des sacs à dos. A Calais, ces expulsions ont lieu tous les jours et impliquent souvent le vol de nourriture, de matériel de cuisine et de récipients à eau. Comme toutes les autres organisations travaillant sur le terrain, il est pour nous un défi constant de répondre aux besoins des personnes qui n'ont pas de logement sûr, qui sont constamment déplacées, volées et victimes de violence policière.
Bois du Wood Yard, la semaine du 08/02 au 14/02
Pendant l'hiver, le CFC a vécu sa première période en tant que l'une des organisations qui travaillaient dans des conditions brutales pour assurer la sécurité des communautés. Les conditions météorologiques ont générer une situation encore plus urgente dans les camps à cause des inondations, et pendant la semaine du 8 au 14 février, les températures sont tombées à moins 6 degrés chaque nuit. Avec ces conditions, et l'État ne proposant qu'un hébergement temporaire, où un lit pour une nuit à la fois était même souvent difficile à obtenir, nous avons été tenus d’adapter encore plus nos services. Le Wood Yard a distribué d'énormes quantités de bois, approvisionnant chaque site, chaque jour, fournissant de la chaleur aux communautés, et assurant également la faisabilité du projet du CFC afin de permettre aux communautés de pouvoir cuisiner pour elles-mêmes.
À la fin de cette semaine de températures atroces, CFC a réalisé que nous étions confrontés à une crise d’accès à l’eau encore plus critique qu'avant. À partir de juillet, nous avions commencé à fournir de l'eau aux communautés car un seul point d'eau à Calais était rendu accessible par l'État. Celui-ci étant installé à une distance de marche considérable pour beaucoup de personnes autour de la ville, et avait une présence policière constante et forte qui dissuadait les gens de s’y rendre. En plus de ça, la mise en place de l'arrêté préfectoral a fait que les approvisionnements en eau par des organisations mandatées par l'État ont cessé dans le centre-ville et dans le lieu de vie de Coquelles.
À Coquelles, le CFC était la principale source d'eau depuis août: fournir deux bouteilles d’eau par personne par jour ainsi que de l'eau d'une cuve d’eau dite IBC dans des jerry cans de 5 litres depuis notre fourgon. Le 2 février, nous avons installé une cuve IBC statique à Coquelles, afin de fournir une source constante d'eau courante. Dans les 6 jours, la police a volé ce réservoir d'eau. Lors de la semaine de froid extrême, nos cuves sont devenues inutilisables car elles gelaient. Malgré tous nos efforts, nos solutions n'ont pas été en mesure de se comparer à une source d'eau courante sûre et raccordée.
Recharge quotidienne de notre cuve d’eau à Coquelles
À travers cette crise d'accès à l'eau, nous avons travaillé dans l’objectif de faire pression sur l'État et à faire appel pour un accès à l'eau, car ils ont l'obligation de respecter et de respecter les droits humains fondamentaux à l'eau. Deux organisations nous ont beaucoup aider dans nos projets de plaidoyer: La Cabane Juridique et la PSM (Plateforme de Soutien aux Migrants). Mais ce genre de projet met des mois à voir le jour car nos demandes aboutissent rarement à des réponses positives. Depuis notre première installation de la cuve d’eau début février jusqu'à fin mars, les populations de Coquelles sont passées de 130 à plus de 300. À la mi-mars, nous avons lancé notre levée de fonds d'urgence pour l'eau dans le but de maintenir notre fonctionnement durable. En effet, depuis le mois de mars, une grande partie de nos fonds sont utilisés dans nos campagnes d'approvisionnement en eau.
Notre histoire nous mène alors jusqu'à maintenant, où le CFC viennent de fêter leur première année. Nous avons connu une année de défis: des restrictions de l'arrêté aux expulsions massives ainsi que des colis alimentaires d'urgence en passant par la crise actuelle de l'eau. Nos services sont passés de colis alimentaires de nourriture sèche à des distributions durables et cohérentes qui favorisent l'autonomie et visent à connaître et à soutenir les communautés pour lesquelles nous travaillons.
C’était à la fois un succès et un échec que le CFC ait opéré à une si grande échelle, et servi à tant de personnes qui ont vécu et/ou sont passées par Calais et Dunkerque. D’un côté, chaque jour de chaque semaine, nous avons réussi à distribuer de la nourriture aux communautés qui vivent ici. Nous avons pu atteindre notre objectif que nous avions mis lors de la proposition de notre projet, ainsi que répondre aux demandes des personnes déplacées, et nous avons promu l'autonomie alimentaire et l'auto-gouvernance.
D'un autre côté, notre travail est venu pallier l’inactivité de l'État. De nature, nous avons été constitués en tant qu'équipe d'intervention d'urgence pour répondre aux besoins urgents lors de la pandémie, mais nous voici un an plus tard, et l’urgence persiste. À l'heure actuelle, nous sommes encore témoins des conditions horribles dans lesquelles l'État laisse vivre les personnes déplacées, et nous fournissons toujours un service qu'il devrait avoir l'obligation de fournir. Cela va sans dire que d’autres solutions comme un accès à des logements sûrs, des soins sociaux et des itinéraires sûrs pour l'asile restent à faire par l’Etat.
Pour tirer nos conclusions un an après le début de nos activités, nous continuons de partager notre indignation face à l'État qui non seulement laisse tomber les personnes déplacées dans le nord de la France, mais est aussi responsable de harcèlement, d'abus et de politique d’invisibilisation contre les communautés. Nous tenons notre promesse de continuer à fournir nos services aux communautés locales et de faire preuve d’adaptation aux différentes restrictions et demandes afin de fournir un service basé sur la demande et qui favorise l'autonomie. Nous reconnaissons notre service comme un complément aux services alimentaires de l'État et utilisons ce statut comme forme de manifestation contre l'État.
Nous tenons à remercier chaque personne et organisation qui nous ont soutenus depuis le début. Grâce à des collaborations, des dons, et un soutien constant, nos organisations partenaires étaient: le Wood Yard, Utopia 56, Refugee Women’s Centre, Refugee Info Bus et Refugee Youth Service.
A la Cabane Juridique et la Plateforme des Soutiens aux Migrants qui nous ont aussi fortement soutenus sur des projets de plaidoyer et des travaux juridiques.
À nos partenaires officiels: L’Auberge des Migrants, Help Refugees et Donate4Refugees pour leur soutien, leur connaissances du terrain et leurs ressources.
Et enfin, à toutes les organisations qui ont fait un don et nous ont soutenus à travers plusieurs services différents. Merci.
Fais un don pour notre collecte de fonds pour l'eau : https://www.justgiving.com/fundraising/calais-food-collective1

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